L’identité du donneur : est-ce suffisant, est-ce nécessaire pour les enfants conçus avec des gamètes de donneur (se)?

Oct 16, 2014 | Actualités CECOS

Réflexion autour de l’anonymat du don – L’identité du donneur : est-ce nécessaire, est-ce suffisant pour satisfaire les attentes des enfants issus d’un don de gamètes ?

An Ravelingien, Veerle Provoost et Guido Pennings, de l’Université de Gand en Belgique, se sont posé cette question, rarement abordée, et nous livrent leur analyse et leurs réflexions dans un article paru en juillet 2014 (1)

Depuis les années 2000, un certain nombre de pays, Norvège, Autriche, Suisse, Pays-Bas, Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande, certains états australiens… ont suivi l’exemple de la Suède et levé l’anonymat des dons de gamètes, offrant ainsi aux enfants la possibilité de connaître l’identité du donneur (se) à leur majorité.

Pour explorer l’adéquation de cette mesure avec les attentes des individus issus de don, les auteurs ont conduit une recherche bibliographique en ne retenant que les articles publiés en anglais, dans des revues à comité de lecture et portant sur l’analyse empirique des raisons invoquées par les enfants, adolescents ou adultes, pour vouloir connaître l’identité de « leur » donneur. Ils ont retenu 10 publications sur 178, éliminant les papiers d’opinion, les réflexions éthiques et les enquêtes consacrées aux parents. Ces études, publiées entre 2000 et 2013, sont majoritairement américaines (n=6), ou anglaise (n=1), belge (n=1), australienne (n=1). Elles représentent 1414 enfants, essentiellement recrutés par Internet sur des réseaux spécifiques ou des registres et  interrogés surtout par questionnaires en ligne. Ils ont été élevés par des couples hétéros ou homosexuels (environ 40%), peuvent avoir appris les modalités de leur conception tardivement (>18 ans) ou l’avoir toujours su et sont issus d’un don de spermatozoïdes. (Tableau 1)

Quelles raisons amènent les enfants du don à vouloir connaître l’identité du donneur ?

Les motivations les plus importantes peuvent se regrouper en 6 thématiques :

–  Éviter les risques médicaux et les relations consanguines

–  Satisfaire une curiosité à l’encontre du donneur (apparence physique, âge, est-il vivant ?…)

–  En savoir plus sur soi-même et bâtir son identité

–  Mieux savoir qui est le donneur, sa biographie et les motivations de son don

–  Établir une relation avec le donneur et sa famille

–  Connaître ses ancêtres et sa généalogie.

Suivant les études, plus de 50% des enfants interrogés envisagent de demander l’identité du donneur, mais pas forcément à leur majorité, et ce chiffre atteint 70-80% dans les publications américaines qui ont utilisé comme base de recrutement le « Donor Sibling Registry ou DSR» (2), qui permet aux enfants d’un même donneur de se retrouver.

Il existe donc un groupe d’enfants qui souhaitent en savoir plus sur le donneur à l’origine de leur conception : certains sont intéressés par des informations médicales et par la « typologie du donneur, d’autres par une histoire voire une rencontre. Pour E. Blyth et al (3) cet intérêt doit amener à promouvoir la transparence et à lever l’anonymat des dons de gamètes. An Ravelingien et le groupe de Gand, à partir des mêmes constatations hésitent à en tirer les mêmes conclusions.

En effet, il existe de nombreux biais méthodologiques dans les études publiées : les groupes sont le plus souvent hétérogènes quant à l’âge, à l’orientation sexuelle du couple parental ou au moment de la révélation du don. Aucune étude longitudinale éclairant l’expérience vécue par les enfants du don, dans un contexte de non-anonymat de départ, n’est disponible. De telles études n’ont jamais été menées en Suède où les enfants issus des premiers dons non anonymes (1984) ont aujourd’hui 30 ans et la levée d’anonymat plus tardive dans les autres pays fait que la première génération qui pourra pleinement bénéficier de cette politique est encore jeune. En Angleterre, ce n’est qu’en 2022 que les premiers enfants pourront demander le nom et l’adresse de « leur » donneur.

Enfin, la principale critique des auteurs tient aux échantillons de population. Seuls sont interrogés, bien sûr, les individus au courant des modalités de leur conception, qui représentent une minorité de la population concernée et  les modalités de recrutement privilégient les individus qui souhaitent connaître « leur » donneur ou partager leurs préoccupations sur des sites publics. Malgré cela, 20 à 40% des sujets ne souhaitent pas obtenir d’informations identifiantes sur le donneur.

La connaissance de l’identité du donneur répond-elle aux attentes exprimées ?

– Il est possible d’éviter ou de limiter les risques médicaux et la consanguinité sans lever l’anonymat. Toute une série de mesures accompagnant le don anonyme en témoignent : sélection des donneurs, informations médicales délivrées par le centre d’AMP et qui peuvent être actualisées, réduction du risque, déjà exceptionnel (4), d’unions consanguines par la mise en place de registres et la limitation du nombre d’enfants issus d’un même don. La connaissance de l’identité du donneur ne semble donc pas nécessaire sur ces points.

– satisfaire la curiosité ne peut être considéré comme une raison capitale conférant un droit à l’identité du donneur. D’autant que cette dernière n’est pas nécessaire pour dresser une « typologie » du donneur et beaucoup de données non identifiantes peuvent être transmises : description physique, photos d’enfance, origine ethnique, aptitudes particulières, QI, métier, personnalité… Par ailleurs, la comparaison, que souhaitent certains enfants, n’a de valeur que si eux-mêmes et le donneur se rencontrent et passent du temps ensemble. Le non-anonymat ne garantit en rien une telle interaction. Le donneur, même en ayant accepté ce cadre, peut, une vingtaine d’années plus tard, ne pas souhaiter de rencontre.

– il en va de même pour la construction de l’identité car  là encore, le non-anonymat ne garantit pas le contact étroit qui permettrait d’aller plus loin qu’une simple « typologie » du donneur. Et plus de 18 ans est un âge bien tardif pour construire sa personnalité.

– Il est cependant des demandes qui nécessitent de connaître l’identité du donneur. C’est le cas lorsqu’on veut établir une relation avec le donneur et /ou sa famille. Il est cependant risqué pour certains enfants d’avoir des attentes irréalistes, fantasmatiques, romantiques quant à leur donneur car la confrontation pourrait être dramatiquement décevante. Lorsque cette demande va jusqu’à une reconnaissance réciproque des liens de sang, on est bien au-delà du non-anonymat et plutôt dans un souhait de co-parentalité.

– Finalement, pour ceux (celles) qui veulent connaître leurs ancêtres et leur généalogie selon l’idée que celle-ci appartient de droit à la personne, la simple connaissance de l’identité du donneur est alors nécessaire et suffisante. Cependant, beaucoup de familles conçues naturellement ne connaissent pas leur généalogie. Ce ne peut donc être un besoin reconnu comme majeur, mais qui serait spécifique aux enfants du don.

Voilà donc l’argumentaire de A. Ravelingien et co-auteurs. Leur conclusion coule de source. Pour la plupart des raisons qui sous-tendent le désir de mieux connaître le donneur, accéder à son identité n’est pas nécessaire et pour celles qui nécessiteraient de pouvoir rencontrer le donneur, connaître son identité (« open-identity ») ne garantit pas de pouvoir établir une relation avec lui ou elle et n’est donc pas suffisant. Il serait plus juste de parler de la possibilité d’établir un contact avec le donneur (« donor contactibility ») plutôt que de simplement pouvoir l’identifier (« donor identifiability »).

Ces bioéthiciens belges semblent donc penser que l’acceptation par les donneurs de donner leur nom et leur adresse aux enfants issus de leur don, qui en feraient la demande à leur majorité, risque de générer frustrations, malentendus et déceptions dont on a mal apprécié l’importance. Beaucoup des attentes de ces enfants trouveraient une réponse adéquate dans la délivrance de données non identifiantes dont cependant, le cadre et les limites ne sont pas envisagés dans cet intéressant article.

Jacqueline MANDELBAUM

(1) A. Ravelingien, V. Provoost et G. Pennings. Open-identity sperm donation : how does offering donor-identifying information relate to donor-conceived offspring’s wishes and needs ? Journal of Bioethical Inquiry, 05 juillet 2014 online.

 (2) Donor Sibling Registry : site web gratuit créé en 2000 par une mère et son fils pour permettre aux enfants issus d’un même donneur (se) de se retrouver grâce au numéro d’anonymisation et également de retrouver les donneurs qui le souhaitent. Comprendrait actuellement 45 000 membres environ et aurait permis à 11846 demi-frères et soeurs (et/ou donneurs) de se « connecter ».

(3) Blyth E, Crawshaw M, Frith L, Jones C. Donor-conceived people’s views and experiences of their genetic origins: a critical analysis of the research evidence.J Law Med. 2012 Jun;19(4):769-89

(4) Le risque d’unions consanguines après IAD est de 0.12 (soit 1.2 tous les 10 ans) alors qu’il est de 0.5 pour les fausses paternités. JL. Serre et al, 2014. Human Reproduction, 29 (3) : 394-9.

Auteurs Année/pays de publication  Sujets (n)  Age Identité du donneur souhaitée Méthodologie
Turner AJ 2000 (UK) 16 adultes 15/16 questionnaires
Vanfraussen K 2003 (Be) 41 7-17 ans > 50% Interviews et questionnaires
Scheib JE 2005 29 12-17 ans > 50% Quest. par poste

Jadva V

Golombok S

2009 – 2010 (USA) 165 Ados et adultes 77% Quest en ligne DSR
Mahlstedt PP 2010 (USA) 85 Adultes 76% Quest en ligne
Rodino IS 2011(Australie) 23 Questionnaires
Beeson DR 2011 (USA) 741 ³ 18 ans 82% Quest. (DSR)
Hertz R 2013 (USA) 314 ³13 ans 83% Quest (DSR)

La certification a été délivrée au titre de la catégorie : ACTIONS DE FORMATION

Siège social

478 Rue de la Découverte
Mini Parc 3
CS 67624 31676 LABEGE Cedex
SIREN 300 089 646

SIRET 300 089 646 00032
Déclaration Activité N° 76 31 09316 31
Code APe 7219Z
Nous contacter