Prise en charge des donneurs/donneuses n’ayant pas procrée. Que faire quand l’hypofertilité est au rendez-vous?

Mai 15, 2018 | Actualités CECOS

Les textes relatifs au don de gamètes, même s’ils permettent à des donneurs de conserver des gamètes à leur profit, ne consacrent pas un droit de concevoir un enfant pour ces donneurs : le don est au cœur du système et la priorité lui est clairement donnée. Mais ce droit à l’enfant existe ; il a été consacré par la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH). C’est donc à l’aune de ce droit que certaines questions se posent et peuvent être résolues.

La priorité au don dans les règles relatives au don de gamètes. Le Code de la santé publique prévoit depuis 2011 que les personnes n’ayant pas procréé peuvent donner leurs gamètes et qu’elles se voient alors proposer le recueil et la conservation d’une partie de ces gamètes en vue d’une éventuelle réutilisation ultérieure, à leur bénéfice, d’une assistance médicale à la procréation (art. L. 1244-2, al. 3). Cette double innovation de la loi bioéthique de 2011 – ouverture du don à la personne n’ayant pas procréé et possibilité de conservation autologue – a fait et fait encore l’objet de nombreuses critiques. Pour autant, il est impossible d’affirmer que les nouvelles dispositions ont consacré un droit de procréer car le don est réellement la priorité.

La priorité au don était clairement l’objectif de la loi de 2011 : répondre à la pénurie d’ovocytes en augmentant le nombre de donneuses et la qualité des ovocytes ; donner la possibilité à la donneuse de conserver une partie des ovocytes donnés parce que la ponction comporte des risques, même minimes, sur la fécondité. Il s’agissait ainsi de tenter d’endiguer le tourisme procréatif et de limiter le système de la double liste.

La priorité au don est également patente dans les modalités de mise en œuvre qui découlent d’un décret du 13 octobre 2015 et d’un arrêté du 24 décembre 2015. Le décret prévoit que la donneuse est informée de ce « qu’au moins la moitié des ovocytes matures d’un même prélèvement sont orientés vers le don », ainsi que « de l’éventualité d’une impossibilité de conservation d’ovocytes à son bénéfice en cas d’obtention d’une quantité insuffisante de gamètes ». L’arrêté du 24 décembre 2015 concrétise encore, par la précision de ses dispositions, cette logique : « Jusqu’à cinq ovocytes matures obtenus, tous les ovocytes sont destinés au don et la conservation au bénéfice de la donneuse n’est alors pas réalisée ; de six à dix ovocytes matures obtenus, au moins cinq ovocytes matures sont destinés au don ; au-delà de dix ovocytes matures obtenus, au moins la moitié des ovocytes matures est dirigée vers le don ». Pour le donneur, l’arrêté prévoit qu’un recueil en vue de conservation peut être proposé au-delà de trois recueils.

Un droit fondamental de devenir parent. Depuis 2006, la Cour EDH fait découler de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, un droit de devenir parent. En 2011, La Cour a clairement affirmé que « le droit des couples à concevoir un enfant et à recourir à la procréation médicale assistée relève de la protection de l’article 8, pareil choix constituant une forme d’expression de la vie privée et familiale » (3 nov. 2011, S. H. et a. c/ Autriche). Ce droit fondamental n’est pas absolu pour autant : il peut être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux (droit de ne pas devenir parent ; bien-être de l’enfant à venir, etc.). En tout état de cause, les Etats disposent d’une marge d’appréciation pour effectuer cette mise en balance.

Ce droit fondamental doit être pris en considération dans les réponses à apporter à certaines interrogations lorsque l’hypofertilité du donneur est au rendez-vous.

Conservation autologue et hypofertilité, au sens strict, du donneur. Il se peut que la démarche de don se révèle contre-indiquée pour une raison génétique. Si le don n’a pas été fait, la conservation de gamètes dans le cadre de la procédure du don n’est, par hypothèse, pas envisageable. Reste la possibilité pour la personne, en dehors de tout don, de prouver que la prise en charge médicale est susceptible d’altérer sa fertilité ou que sa fertilité risque d’être prématurément altérée. Elle pourra, alors, bénéficier du recueil et de la conservation de ses gamètes ou de ses tissus germinaux, en vue de la réalisation ultérieure, à son bénéfice, d’une assistance médicale à la procréation, ou en vue de la préservation et de la restauration de sa fertilité, conformément à l’article L. 2141-11 du Code de la santé publique.

Dans le même ordre d’idées, si une personne venue faire un don découvre une hypofertilité (insuffisance ovarienne ou altération de la spermatogénèse), elle a tout à fait la possibilité de se raviser et de refuser de donner ses gamètes. On bascule alors dans le deuxième cas de conservation des gamètes.

Conservation autologue et hypofertilité, au sens large, du donneur. Les réponses sont plus délicates lorsque la personne connaît son hypofertilité, entendue ici au sens large. L’hypothèse est celle d’une personne transsexuelle qui, avant tout traitement de conversion, souhaite donner des gamètes et en conserver une partie à son profit. Même si le Code de la santé publique indique que la conservation a lieu en vue de la réalisation future d’une AMP, les hésitations sur le caractère pathologique de l’infertilité à venir et, plus largement, sur la réunion des conditions nécessaires à l’AMP, ne devraient pas conduire à un refus systématique. De même, un refus ne devrait pas être opposé à une personne homosexuelle, en couple ou non, qui souhaiterait profiter de la procédure de don pour procéder à une conservation de ses gamètes dans la perspective d’une AMP à l’étranger ou d’un changement de législation en France.

D’une part, le législateur n’exige pas que les conditions du recours à l’AMP soient réunies au moment du don. Très fréquemment, elles ne le sont pas, pas davantage du reste lorsqu’il est question de préserver la fertilité menacée d’une personne (songeons, par exemple, à la personne mineure). D’autre part, le droit fondamental de devenir parent et, à ce titre d’un droit d’avoir recours à une AMP, doit être pris en considération. Il conduira en effet peut-être à une évolution des conditions de réalisation d’une AMP : suppression de la condition d’infertilité pathologique pour une ouverture aux femmes seules ou aux couples de lesbiennes. Le droit de devenir parent pourrait également donner lieu à une modification des conditions de conservation des gamètes : on peut en effet s’étonner que les donneurs n’ayant pas procréé se voient réserver la possibilité d’une conservation autologue. D’ores et déjà, avant toute modification de la loi, le droit de devenir parent pourrait contribuer à reconnaître à un donneur ne remplissant pas actuellement les conditions pour recourir à l’AMP le droit de pouvoir conserver une partie de ses gamètes.

Pour aller plus loin, voir par exemple l’avis du Défenseur des droits sur les demandes d’autoconservation des gamètes par des personnes transsexuelles (avis n° MSP/2015-009)

Anne-Sophie Brun-Wauthier

Maître de conférences à la Faculté de droit, Université Grenoble Alpes

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