Le temps chronologique et le temps psychique

Oct 31, 2017 | Actualités CECOS

Bref propos sur le temps en pratique clinique

Il y a le temps conscient, qu’on peut appeler le temps chronologique, les étapes de la vie : l’enfance, l’adolescence, la vieillesse. Il y a ce temps de l’horloge biologique que l’on connait bien en AMP. Il y a des expressions courantes au sujet du temps : de mon temps / par les temps qui courent / tuer le temps / perdre son temps / gagner du temps / être dans l’air du temps / avoir fait son temps / la nuit des temps …

Et il y a un autre temps, le temps psychique, qui n’a rien à voir avec le temps chronologique, qui est même parfois en contradiction avec ce dernier, par exemple quand une femme de 40 ans se sent enfin prête pour avoir un enfant. Ce temps est singulier, particulier, individuel. Il peut être l’expression d’un symptôme : être en retard / l’oubli / l’après coup du symptôme hystérique / pas encore … et on ne peut pas savoir à l’avance le temps qu’il faudra à un sujet pour déplier son symptôme. C’est pourquoi les cures analytiques peuvent être longues, ou bien on peut assister à des effets thérapeutiques brefs ou rapides.

L’inconscient ne connait pas le temps, c’est une des formules de Freud. Dans un rêve on peut passer de l’enfance à l’âge adulte dans la même seconde et d’un lieu de l’enfance à un espace actuel sans aucune transition. Dans l’inconscient, « rien n’est passé ou oublié » nous dit Freud, il n’y a rien qui corresponde à la représentation du temps, parce que la fonction de l’inconscient est de maintenir le désir intact. Freud nous dit que les bourgeonnements, frétillements, motions du désir sont immortelles. Elles se comportent de tout temps comme s’il venait de surgir.

L’amour, par contre, est hanté par la question du temps : « il m’aime, elle m’aime mais pour combien de temps ? ». L’amour voudrait annihiler le temps : l’amour serait plus fort que le temps, plus fort que la mort.

La jouissance aussi est scandée par le temps : la jouissance phallique a un cycle : tumescence/détumescence. C’est une jouissance que l’on peut compter. Ce n’est pas aussi marqué du côté féminin qui est plutôt marqué par l’exigence que l’amour prenne le relais de la jouissance. Il en découle parfois un symptôme qui consiste à suspendre la jouissance pour maintenir le désir, c’est l’opération hystérique par excellence. « On peut dire que c’est l’essence temporelle de l’hystérique », je cite JA Miller. L’obsessionnel lui ce serait plutôt la procrastination son symptôme, isoler la demande de l’autre, en le faisant attendre. C’est en fait une manœuvre du temps : « faire surgir l’attente ».

La cure analytique joue sur le temps,  c’est pourquoi Lacan a fait du temps de la séance analytique (séance courte/séance longue) une fonction de l’interprétation : la coupure de la séance a un effet sur l’analysant, elle a un effet de changement de ponctuation. Ce qui peut changer c’est le rapport du sujet à son inconscient. Accepter le temps c’est accepter la perte, le deuil est une histoire de temps.

Le temps de l’analysant est « pas encore » le temps de l’analyste est « déjà là »

Lacan a une vision du temps en terme logique. Pour cela il a écrit un texte majeur qu’il a intitulé : le temps logique et l’assertion de certitude anticipée, un nouveau sophisme et qu’il nomme de 3 moments :

  • L’instant de voir
  • Le temps pour comprendre
  • le moment de conclure

Il l’illustre avec l’histoire de 3 prisonniers que je ne vais pas vous déplier ici – je le ferai si vous voulez plus tard – mais j’ai préféré m’éclairer d’un auteur qui a illustré ces temps logiques. François Ansermet déplie ces 3 temps face au traumatisme

Avant cela reprenons ce que Lacan tente de nous faire saisir de cette logique. Le désir est intact, immortel, inconscient. La répétition (dans le symptôme) n’est que la reproduction sans fin d’une tentative de retrouver quelque chose qui échappe, qui ne se laisse pas symboliser, qui reste irréductible au signifiant, qui demeure un impossible à dire.

Cet impossible, qui a à voir avec le désir, n’en est pas moins le résultat des demandes qui elles s’inscrivent dans le défilé des signifiants. Sans l’articulation signifiante, sans la parole, qui elle se déploie dans la chronologie, aucun temps logique ne viendrait s’y inscrire.

François Ansermet

 Les 3 temps du traumatisme.

  • L’instant de voir

C’est le moment de la sidération face à un événement inattendu. C’est un moment de désubjectivation : on ne sait plus qui on est, ce qu’on fait là. On parle d’une effraction de réel. Il n’y a pas de mots ou d’images pour venir expliquer ce qui se passe. C’est le temps du trou, du « troumatisme » comme l’a nommé Lacan.

  • Le temps pour comprendre

C’est le moment où le sujet va tenter d’imaginer et de symboliser ce qui lui arrive. Il va essayer de comprendre la cause de ce qui lui arrive : pourquoi ? Pourquoi moi ? Et trouver des mots pour dire ce qu’il ressent. Cet événement va faire lien avec des éléments de son histoire et il ne réagira pas de la même manière si ce qui lui arrive était craint ou envisagé ou si rien n’en avait jamais été pressenti.

Si l’événement traumatique a un lien avec son fantasme, il pourra y avoir une fixation à cet événement, si par contre cela est loin de son histoire cela ne fera pas traumatisme. On peut expliquer par ce phénomène les différences de vécu face à un viol par exemple. Pour certaines femmes cela va faire un événement majeur dans leur vie qui va très difficilement se résorber, cela peut dépendre de la rencontre infantile de la sexualité. Pour d’autres cet événement va se « digérer », avec du temps, mais sans fixation.

François Ansermet nous expose les manières dont le sujet va se débattre avec ce ressenti. Les choses se répètent, ce sont en fait des efforts pour rendre le traumatisme abordable, c’est un mode de traitement du traumatisme.

Il peut y avoir aussi des mécanismes de défense : évitement, oubli, inhibition, évitement,  repli sur soi… Il faut un second temps pour fabriquer un symptôme. Dans ce deuxième temps, il faut en passer par le sens (imaginaire puis symbolique). C’est un temps indéterminé.

Attention néanmoins au risque de fixation au traumatisme, de la part du sujet mais de la part de l’entourage aussi où, dans notre exemple, la femme n’est plus que perçue comme « la femme violée », où tout ce qui lui arrive ultérieurement va être lié à cet événement. Cela peut l’installer dans un certain bénéfice, scellant la répétition traumatique. C’est un mode sans issu pour le sujet.

  • Le moment de conclure

Il y a alors ce troisième temps, le moment de conclure qui mise sur la logique de la réponse du sujet plutôt que la cause du traumatisme. Il s’agit de sortir du sens, de lâcher l’événement traumatique, de passer à autre chose, de consentir à perdre cet état de victime qui donnait aussi des bénéfices secondaires ou une certaine jouissance comme Lacan nous l’a appris. Il s’agit de miser sur ce qui a été dévoilé par le traumatisme. C’est de l’ordre de l’acte. Lacan nous parle de la hâte. C’est un moment d’urgence. Une précipitation tributaire d’un acte pour sortir de cet engluement.

Que pouvons-nous retenir de cette différence radicale entre le temps chronologique et le temps psychique, logique de chaque patient ?

Que rien ne sert de courir … comme dirait la fable. Qu’il s’agit de respecter, dans la mesure du possible, ce temps personnel du patient. Déjà de savoir qu’il existe permettra un autre accueil, avec la prise en compte de ce que le patient a à en dire. Il ne s’agit pas, bien sûr, d’oublier les  limites imposées par la biologie mais de parier sur l’invention du sujet de trouver ses propres solutions.

Isabelle Galland

Bibliographie citée :

Miller J-A., «  Introduction à l’érotique du temps », mental N°22, avril 2009.

Lacan J., « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée » [1945], Écrits, Seuil, 1966,

Ansermet F, « Le traumatisme » Revue de l’ECF N°58

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