Impact de la représentation de l’embryon sur le devenir des embryons congelés après abandon du projet parental

Déc 13, 2017 | Actualités CECOS

Pour les couples qui bénéficient d’une fécondation in vitro, la possibilité de congeler des embryons est souvent perçue comme une chance supplémentaire, ce qui est le cas puisque majoritairement ces embryons, dits « surnuméraires », seront transférés lors d’un cycle ultérieur. Loin d’eux l’idée qu’ils devront peut-être un jour, s’ils n’ont plus de projet parental, choisir le devenir de ces embryons congelés dans le cadre législatif français qui comprend l’arrêt de conservation, le don à la recherche ou l’accueil d’embryons. Ce choix non anticipé, en France, n’est cependant pas si simple.

De nombreuses études ont  rapporté les difficultés de ces couples à décider de poursuivre ou non la conservation de leurs embryons congelés et à leur choisir un devenir. Plusieurs facteurs semblent influencer la décision, parmi lesquels: la représentation de l’embryon, les notions de solidarité et d’altruisme, l’information reçue du corps médical, la « qualité » des embryons et les évènements de la vie. Mais la plupart des enquêtes ont eu lieu avant le choix définitif, ne recueillant que les intentions des couples. C’est pourquoi, l’équipe du CECOS de l’hôpital Tenon a réalisé une étude prospective, de 2007 à 2010, incluant 243 personnes n’ayant plus de projet parental et ayant définitivement décidé du devenir de leurs embryons cryoconservés à Tenon et à la clinique de la Dhuys (Bruno et al, 2016) (1).

L’originalité de cette étude a été d’interroger quantitativement et qualitativement les couples sur leur représentation symbolique de l’embryon. Six représentations de l’embryon étaient proposées : une chose, une personne potentielle, un enfant, un projet, un amas de cellules et la vie.

Après ajustement sur l’âge, le sexe, le recours au don de gamète, le nombre d’enfants et les différentes représentations de l’embryon, le choix de « l’arrêt de conservation » est 3 fois plus fréquent si l’embryon est représenté comme « un enfant » (OR 3,29 ; IC 95%  1,62-6,66) p=0,0009. La représentation de l’embryon comme « un projet » incite près de 4 fois plus les couples à choisir le « don à la recherche » (OR 3,76 ; IC 95%1,56-9,06) p=0,0032. Les couples sont plus susceptibles de choisir l’ « accueil d’embryon »  s’ils se représentent l’embryon comme « une personne potentielle » (OR 3,77 IC 95% 1,45-9,80) p=0,0064.

Il peut paraître étonnant que pour les personnes choisissant  « l’arrêt de conservation », l’embryon représenté majoritairement comme un enfant ait comme seul devenir la destruction. Cependant, pour 70% d’entre eux, il est « impossible de les donner », « je ne peux pas donner un enfant » nous dit une femme. L’engagement et l’investissement émotionnel de ces personnes envers leurs « embryons-enfants » sont probablement trop marqués pour qu’un don puisse être acceptable. Elles préfèrent mettre fin à la conservation (et à cette projection dans l’avenir) plutôt que d’abandonner leurs embryons à un devenir dont elles ne seraient plus les témoins.

 Au contraire, les personnes ayant décidé en faveur du « don  à la recherche » représentent plus volontiers l’embryon comme un « projet » ou un « amas de cellules », et cette représentation, privilégiant le statut biologique des embryons, paraît s’accorder avec le devenir choisi. Les personnes ayant opté pour « l’accueil d’embryon »  qualifient majoritairement l’embryon de « personne potentielle ». Le vocable « enfant » est peu retenu or c’est pourtant le devenir éventuel de ce don. En employant le terme « personne potentielle », n’évoque-t-on pas le fait que ce don puisse aboutir à la naissance d’un nouvel être tout en maintenant une certaine distance envers lui ? Le désinvestissement des  projections parentales sur ces embryons permettrait ce choix, orienté par la solidarité (70% des personnes interrogées). Une femme évoque « la détresse des femmes en FIV » dont elle a été témoin, une autre qu’elle va pouvoir « donner une grossesse à une autre femme ».

 Autre constat, les couples ayant bénéficié d’un don de gamètes s’orientent près de 10 fois plus vers le « don en vue d’un accueil d’embryon » (OR 10,62 IC 95% 3,99-28,30) p<0,0001. Les témoignages de ce contre-don sont assez concordants : « poursuivre ce que le donneur a entamé », « donner une chance dont on a bénéficié », « donner autant de bonheur aux autres », « c’est la finalité de ce qu’on a fait : on a reçu, on va donner ». C’est parce qu’ils ont reçu un don de spermatozoïdes ou d’ovocytes, et qu’ils ont été marqués par ce geste de générosité, qu’ils veulent donner à leur tour leurs embryons à un autre couple infertile. Les personnes interrogées dans ce groupe se représentent majoritairement l’embryon comme « la vie » et « une personne potentielle », certains y associant la notion de bonheur : « donner du bonheur à d’autres ». Représenter l’embryon comme source de vie et de bonheur, vouloir « donner une chance », faire référence à des notions d’altruisme et de solidarité semblent valoriser le don comme un geste précieux qui perpétue une chaine d’espoir.

Si pour plus de la moitié des participants (57%), la décision a été facile à prendre, choisir « l’arrêt de conservation » a été significativement plus difficile que de choisir le don à la recherche ou à un autre couple (p=0,001). En effet, 85% des personnes ayant sélectionné «l’accueil d’embryon » disent que ce choix a été facile mais ce n’est plus le cas  que pour 54% de celles qui s’orientent vers « l’arrêt de conservation ». Choisir la destruction est pour la plupart une décision  contrainte, guidée par le refus de donner ses embryons aussi bien à la recherche qu’à un autre couple. En revanche, les personnes ayant opté en faveur de la « recherche » ou de « l’accueil d’embryon », expriment fortement un concept de solidarité qui facilite probablement ces choix pouvant être vu comme positifs. Ils peuvent ainsi aider d’autres couples infertiles ou contribuer aux avancées de la science.

En France au 31 Décembre 2014, on était encore, pour 14 % des embryons cryoconservés dans les centres d’AMP,  sans nouvelles des couples géniteurs. Désinvestissement des couples vis à vis de leurs embryons congelés, choix impossible, désaccord au sein du couple quant à leur devenir,  manque d’information, moyen de laisser l’institution mettre fin elle-même à la conservation au terme du délai légal ?… Les hypothèses et les cas de figure sont multiples. Mieux informer les couples aux différentes étapes du processus d’AMP est indispensable, travailler sur la représentation imagée de l’embryon pourrait être un outil supplémentaire pour les accompagner et les aider dans leur réflexion.

Céline Bruno et Jacqueline Mandelbaum

Bibliographie

1 – C. Bruno, C. Dudkiewicz-Sibony, I. Berthaut, E.Weil, L. Brunet, C. Fortier, J. Pfeffer, C. Ravel, P. Fauque, E. Mathieu, JM. Antoine, J. Mandelbaum. Survey of 243 ART patients having made a final disposition about their surplus cryopreserved embryos: the crucial role of symbolic embryo representation. Human Reproduction, 2016, 31 (7): 1508-1514.

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