Donner son sperme ou ses ovocytes sans avoir eu d’enfants au préalable : quelles en seraient les raisons, les fantasmes et les motivations? Quels fantasmes sont au travail?

Août 1, 2018 | Actualités CECOS

Si je m’appuie sur l’Histoire que l’on raconte aux enfants quand ils sont tout petits, la grande Histoire, celle avec un grand H, l’Histoire de la vie, je me souviens avoir beaucoup rêvé et fantasmé lorsque j’étais enfant, adolescente, adulte….

Vers 2-3 ans, j’ai découvert la différence des sexes : il y a des garçons, et il y a des filles. Puis j’ai observé quelque chose d’étrange qui paraissait normal à tout le monde : ce sont les filles qui portent les bébés. Petit à petit, je me suis raconté des histoires : un jour peut-être j’aurai un amoureux… et puis un jour peut-être avec cet amoureux, je ferai des bébés. Au tout début de ma vie j’avais plutôt une amoureuse d’ailleurs, c’était ma mère, et puis je me suis tournée vers mon père qui a pris cette place idéale et convoitée. Enfin, je me suis tournée vers un autre, et il a fallu que mon amoureux combatte beaucoup contre ma mère, contre mon père et contre tous mes prétendants, sans les détruire bien sûr, pour qu’il soit finalement celui avec lequel je désirais faire des bébés. Il a dû, vous vous en doutez bien, combattre aussi contre lui-même, mais ça c’est une autre histoire…

L’histoire d’ailleurs ne se termine pas là, puisque comme chacun sait le désir est par nature inconscient et surtout le désir est ambivalent. En effet, de nous-mêmes, nous ne savons a priori consciemment pas grand-chose… La psychanalyse prend ici place pour nous accompagner dans ce mouvement qui consiste à lever le voile et parfois à faire un petit pas de côté…

Alors, puisque nous sommes de manière collective et individuelle, immergés dans un univers médical qui s’interroge sur la question des origines, de la transmission et de la filiation, et qui met en acte un certain fantasme de pouvoir lié à la conception, je me pose la question suivante : comment font les hommes et les femmes que nous rencontrons et qui viennent nous dire qu’ils désirent donner leurs gamètes alors qu’ils n’ont jamais eu d’enfant ? Quel est le désir qui les guide et qu’est-ce qu’ils en savent ? Et nous, lorsque nous les recevons, qu’en savons-nous au cours de la consultation et comment peut-on leur permettre d’y avoir accès ?

On connaît par expérience le don de gamètes depuis 50 ans maintenant en France. On a beaucoup écrit et pensé, et on a bien repéré la notion d’échange : consciemment, je peux dire que je donne parce que j’ai été touchée par l’histoire d’une autre personne, c’est facilement compréhensible et la plupart du temps c’est   accepté et entendu socialement parlant. Mais lorsque je rencontre un psychanalyste et que nous échangeons, je découvre dans le transfert de ce qui se tisse entre lui et moi, que mon don a une consonance et des racines très personnelles qui sont logées dans mon inconscient et s’inscrivent dans mon Histoire. Je donne parce qu’on m’a donné. Je suis inscrite inconsciemment dans une logique d’échange. Le don que je fais laisse entendre que l’on m’a donné. Le don a une pré-histoire. Je donne mes gamètes, et « en plus » ça a un sens pour moi. Serait-ce imaginable de penser qu’en donnant, inconsciemment je règle une dette ? Et que fait la médecine de cette dette qu’elle vient soulever en répondant concrètement à la demande ? Les tentatives de procréation par assistance médicale, avec ou sans don de gamètes, mettent en relief les enjeux narcissiques et oedipiens qui sont engagés

dans le désir d’enfants. Les liens entre biologie et filiation sont sans cesse questionnés dans l’accès à la parentalité.

A quel moment de la grande Histoire de la vie ai-je découvert que j’avais des gamètes et que je pouvais les donner ? Puisque la loi française permet maintenant à un individu majeur de donner ses gamètes avant même d’avoir procréé, comment cette question étrange, incongrue et qui vient d’ailleurs vient-elle se lier à mes fantasmes ?

Car, la plupart du temps, ce n’est pas l’individu qui dit : « je veux absolument donner mes gamètes ». Il nous dit plutôt, « J’ai entendu parler du don »… « J’ai rencontré quelqu’un qui ne pouvait pas avoir d’enfant »,… « Je n’y pensais pas,…. Je n’y avais jamais pensé,…. et puis là, je me suis dit pourquoi pas ? »

M’appuyant sur mon expérience clinique très récente concernant la rencontre avec ces personnes qui viennent donner leurs gamètes sans avoir auparavant procréé, je vous propose d’interroger les fantasmes qui sous-tendent leur acte. S’agirait-il d’ailleurs d’un « passage à l’acte » ? Nous n’en tirerons ni statistiques, ni conclusions normalisantes, mais ces situations cliniques vont nous permettre de penser ensemble.

Donner ses gamètes pour un homme n’a pas la même représentation symbolique que donner lorsqu’on est femme. Il y aurait chez le donneur une dimension narcissique phallique. Car les gratifications sont nombreuses : il va donner « ça », face au regard des personnes qui le reçoivent et lui indiquent la procédure à suivre et qui viennent constater sa  « puissance sexuelle ». Le laboratoire et les personnes qu’il rencontre font office d’instance sur-moïque, ils ont une place paternelle, ils représentent un grand Autre exigeant et sans concession. Le donneur risque immédiatement de se retrouver confronté à une angoisse de castration et à son impuissance. D’un point de vue inconscient, il y a un signifiant majeur entre éjaculation et puissance virile. Les personnes du laboratoire vont rapidement confirmer ou pas cette toute puissance virile. Le donneur va passer par deux moments délicats : la masturbation et les résultats.  Quels  sont  les  mouvements  contre-transférentiels  qui  sont  alors  induits  dans l’équipe ?

Certains hommes ont besoin d’informer leur entourage de leur acte. Tiennent-ils moins à l’anonymat que d’autres ? Le sexuel et l’excitation pulsionnelle sont au premier plan, de manière plus importante que la question de la procréation. Pour les hommes qui donnent et n’ont pas d’enfant, c’est parfois un élément qui va les différencier des donneurs avec enfant. On risque donc d’être confrontés à plus de troubles de la personnalité quand les donneurs n’ont pas d’enfant.

Chez la femme qui donne ses gamètes et n’a jamais eu d’enfant, cette toute puissance est refoulée. Le prélèvement est fait par les médecins, la femme est passive, sorte de métaphore de la sexualité féminine. Médecins et sages-femmes sont très prudents envers les donneuses, craignant la violence qu’ils pourraient faire subir aux femmes. La culpabilité médicale vient à être dédouanée par la proposition qui leur est faite de procéder à une auto-conservation. Pourtant chacun sait que pour diverses raisons cela pourrait ne pas marcher.

La femme qui donne et n’a pas d’enfant vient comme les hommes vérifier sa propre fertilité. Mais très vite elle évoque l’idée d’un enfant à venir, et on n’observe pas une excitation sexuelle comme chez les hommes. La relation à leur mère se pose d’emblée, elles en parleront avec elle ou pas. Y aurait-il dans ce don une transmission du maternel ? Chez la femme, l’acte se fait sur un mode sérieux, un peu pesant, la réalité des rendez-vous et du médical vient mettre une limite aux fantasmes. Pour les femmes, le processus se situe à l’intérieur du corps,

dans l’invisible (l’irreprésentable) que constitue la sexualité féminine. Les ponctions sont des actes médicaux, le sexuel ne semble pas être au premier plan et donc les fantasmes en jeu seront différents.

Les   donneurs   et   les   donneuses  qui   n’ont   encore   pas   d’enfant   présentent   quelques

caractéristiques communes :

– Ils n’ont parfois pas encore rencontré celui ou celle avec lequel ils envisagent d’avoir un enfant. D’une certaine manière, ils « mettent la charrue avant les bœufs ». Il est en effet question de leur fertilité avant même de rencontrer un partenaire et d’envisager de faire un enfant.

– Ils n’ont parfois jamais imaginé qu’ils ou elles auraient un jour un enfant bien à eux

– Certains peuvent donner leurs gamètes comme ils donnent leur sang, leur moëlle ou leurs organes

– Ils donnent parfois leurs gamètes par dépit amoureux, par désespoir. Ils pensent parfois ou croient savoir qu’ils ne sont pas faits pour vivre en couple, voire pour élever des enfants. Ou bien  le  don  vient  compenser,  par  sa  forte  valence  narcissique,  des  évènements  de  vie difficiles.

Donner, que ce soit avec ou sans enfant au préalable, c’est d’un point de vue strictement biologique transmettre son patrimoine génétique. C’est en cela que le don de gamètes se différencie actuellement des autres dons. D’une certaine manière, en donnant, on sème son patrimoine génétique, sans savoir s’il prendra racine, ni où il se perpétuera.

Au cours des entretiens, les personnes font un retour sur elles-mêmes : « aurais-je donné avant d’avoir rencontré mon amoureux ? Je n’y avais jamais pensé, disent-elles. Pourtant j’ai donné mon sang. J’ai d’ailleurs eu besoin très jeune de don de sang dans ma vie. Je me suis interrogée sur le don d’organes, sur le don de mon corps à la science, mais je n’avais jamais pensé ni mis de mots sur le fait que la loi m’autoriserait un jour à donner mes gamètes avant d’avoir moi-même eu et porté un enfant. »

Donner ses gamètes sans avoir encore eu d’enfants paraît totalement incongru. Ce peut être un don altruiste, mais il me semble qu’il y ait autre chose. Et c’est ce que je viens interroger avec vous aujourd’hui.

Y aurait-il chez cette personne une telle faiblesse dans la construction du moi qu’elle ne puisse supporter de vivre sans donner ses gamètes ? Est-ce vital de donner ? Est-ce d’ordre sexuel ? Est-ce lié à des blessures concernant la transmission ? Y aurait-il chez elle une faille narcissique ou serait-ce lié à la reconnaissance de leur identité sexuée ? Est-ce lié à des questions existentielles : Que vais-je devenir ? Qui suis-je ? Est-ce en lien avec le « creux », ce lieu mystérieux dans lequel poussent les bébés ?

La personne qui donne ses gamètes et qui sait que l’auto-conservation est possible vient-elle vérifier sa propre fertilité avant même d’avoir un projet d’enfant ? Et si à cette occasion elle se découvrait infertile ? Et si les gamètes conservés ne se décongelaient pas correctement quand elle s’en servirait ? Que va-t-elle dire à son futur conjoint ? Que va-t-il imaginer de ces éventuels enfants nés du don de sa compagne ? Est-ce qu’elle en parle à son entourage et si c’est le cas, comment est-ce qu’il y réagit ? Cet acte deviendra-t-il un secret pour elle ? L’auto-conservation de ses gamètes pour une femme ne risque-t-elle pas de lui donner l’illusion de pouvoir « mettre sur pause son horloge biologique », avec le risque de déception que cela induit ??

Qu’est-ce qui fait qu’un homme ou une femme autorise que l’on touche à ce patrimoine si

précieux ? Est-il précieux d’ailleurs ?

L’auto-conservation, dans le cadre de ce don, est une proposition faite par les médecins. Il n’est  pas  fréquent  qu’une  personne  vienne  donner  uniquement  pour  auto-conserver  ses gamètes alors qu’elle n’a aucune raison médicale d’infertilité et qu’elle n’a pas d’enfant. D’autant qu’en France, le don est gratuit, volontaire et anonyme.

Ou alors cette personne serait traversée par une angoisse de mort puissante et potentiellement ravageuse. Car, en effet si l’enfant n’arrive pas, se pourrait-il qu’elle ne puisse jamais entrer dans  la  succession  des  générations et  qu’avec  elle  s’arrête  la  transmission  familiale ? Immense culpabilité que d’imaginer un tel désastre. Existe-t-il une vie après soi ?

Angoisse qui pourrait aussi se manifester par un syndrome dépressif, des pensées relatives à la mort, un cynisme, un hyper-réalisme, une désorganisation du moi, … Le corps ne serait perçu que comme un ensemble de cellules dont on pourrait commander chaque moment d’utilisation. Jouissance extrême et mortifère d’une toute puissance validée par la science.

Pour  un  homme,  il  n’y  a  pas  la  notion  de  limite  d’une  réserve  de  la  fertilité,  les spermatozoïdes continuent à être produits tout au long de la vie au presque, les hommes donnent mais ils ne se privent pas. La biologie féminine est différente, leur réserve ovarienne est limitée. Et si en donnant, elles se privaient de leur propre capacité à procréer dans le futur ? C’est une question que l’on peut avoir en les recevant en consultation pour le don. Les femmes en donnant « se privent » d’une partie de leurs possibilités, au moins sur le plan imaginaire, d’avoir un enfant.

Une fois de plus, c’est la question du temps qui paraît essentielle à prendre en compte. L’idéal pour les donneurs serait qu’ils puissent rencontrer le psychologue dès le premier rendez-vous. L’entretien avec le psychologue permet non seulement de filtrer les pathologies psychiques majeures de certains  donneurs mais encore de permettre au donneur de rencontrer le réel de ce don, afin qu’il n’en reste pas au niveau du fantasme et de l’excitation.

Car  l’expérience  clinique  montre  qu’ils  ont  besoin  d’un  lieu  de  parole  avant  d’avoir commencé la moindre prise en charge médicale. En effet, les donneurs eux-mêmes ne savent pas ce qui les met en mouvement à ce moment-là de leur vie. Et la particularité de la loi actuelle leur propose de mettre en acte très tôt dans leur parcours de vie une décision sur laquelle ils ne pourront pas revenir. D’où l’importance de savoir prendre le temps. Le don ne doit jamais se faire dans l’urgence.

Marie-Laure BALAS, Caroline GHIZZI-CARIMANTRAN

La certification a été délivrée au titre de la catégorie : ACTIONS DE FORMATION

Siège social

478 Rue de la Découverte
Mini Parc 3
CS 67624 31676 LABEGE Cedex
SIREN 300 089 646

SIRET 300 089 646 00032
Déclaration Activité N° 76 31 09316 31
Code APe 7219Z
Nous contacter